Interdire le diesel

[andreas]

Je suis très content qu'on pense à interdire les véhicules diesel dans les grandes villes.
Tout comme je serais content qu'on interdise les bateaux diesel sur les mers, dont certains produisent en une traversée autant de particules fines que l'ensemble du parc automobile européen et du CO2 en quantités dantesques.

Mais pour cela, il faudrait freiner le commerce international, dont celui qui achemine jusqu'à la Chine les métaux et autres matières premières qui vont servir à fabriquer les objets technologiques, batteries et générateurs d'électricité qui nous viendront ensuite par bateau diesel.

Dans l'intervalle vers le monde idéal faiblement émetteur de saloperies mortifères, il sera difficile de faire comprendre à l'artisan qui débouche vos chiottes ou répare votre toiture pour pas cher qu'il doit changer son camion qui roule très bien -qui partira alors en Afrique en bateau diesel- pour un camion tout neuf et peu polluant pour la construction duquel on aura consommé des milliers de litres d'eau, des tonnes de terres rares, des tonnes de bauxite, des dizaines de milliers de kilowatts d'électricité. Et de l'aluminium venu en bateau diesel d'Afrique, parce qu'on s'en branle de laisser la gestion des terres rouges polluées à l'Arsenic en Afrique.

Il sera aussi difficile de faire comprendre au petit maraîcher, qui vous livre ses produits précieux plus frais et meilleurs pour l'environnement que ceux des industriels de l'agriculture, que l'amende qu'on lui prélève directement à la source grâce à un radar automatique parce que son véhicule -qu'il n'a pas les moyens de changer- est trop vieux va contribuer à rendre le monde meilleur.

Que dire encore de l'aide à domicile, cette auxiliaire de vie payée à grands coups de pieds au cul, qui torche vos vieux avec amour, qui entend qu'on va lui filer mille balles pour s'acheter une voiture moins pourrie que sa vieille diesel dont elle n'arrive même pas à payer les indispensables réparations tant les fins de mois sont difficiles, tous les mois ?

Que dire à ces gens et à d'autres, alors qu'aucun réseau de transport en commun digne de ce nom n'émaille le pays et ses campagnes, alors que ces mesures vont privilégier les stricts consommateurs urbains, tout en refoulant les autres toujours plus loin des centres d'agglomérations qu'on aura efficacement dépollués en surconsommant des produits neufs ?

Qu'on n'a pas pensé à eux ? Que le progrès passe par le sacrifice de leur existence ? Que c'est normal que tout cela soit plus facile pour les riches? Que ce n'est pas grave de jeter des véhicules qui roulent avant qu'ils n'en soient plus en état, pour acheter des véhicules neufs, pour un bilan écologique finalement pire que si on attendait que ces véhicules doivent être "naturellement" changés ?
Que la relance de la consommation et la Croissance nécessitent qu'on transforme l'ensemble du parc automobile pour un parc "vert", quand on prévoit encore d'agrandir les routes pour y accueillir toujours plus de véhicules ?
Va-t-on leur dire de déménager, parce que ce sera plus facile ailleurs? De prendre un vélo électrique pour leurs interventions, quand le modèle économique de leur vie, la météo, la topographie ou leur âge ne le permettent pas ?

Tout cela ne serait pas aussi indigeste si, en plus, les périphéries des villes ne continuaient pas d'être garnies d'infames zones d'activité -et de surconsommation-, si la vente de denrées sur internet ne remplaçait pas en toute liberté les commerces de proximité, si la consommation de viande et de produits laitiers ne continuait pas d'augmenter, alors qu'on sait que l'élevage industriel est la principale cause d'émissions de gaz à effet de serre, si on ne savait pas que la pêche industrielle -en bateaux-usines diesel- ruine les océans, si on ne savait pas que l'on abat nos boisements et nos vraies forêts à tours de bras pour exporter du bois en Chine par bateau diesel pour qu'il revienne chez bricobidule ou bricotruc par bateau diesel et par camions diesel. S'il ne restait pas tant de bâtiments à isoler, à rénover plutôt qu'à construire.
Ce ne serait pas aussi indigeste sans la valorisation permanente du spectacle outrancier de constructions démentes au Qatar ou ailleurs, sans l'artificialisation de toujours plus de sol, sans la création de normes qui profitent toujours aux plus grosses structures et à leurs actionnaires, ceux-ci ayant le temps de changer leur fusil d'épaule tandis que les classes moyennes et populaires payent le prix d'avoir été pris à leur piège depuis des années.

Tout cet impensé, toute cette calamiteuse gestion des enjeux, des communs, de la justice sociale, de l'avenir forment un ensemble révoltant.

Je suis content qu'on interdise les véhicules diesel dans les grandes villes. Et consterné de la façon dont c'est fait, et de toutes les priorités autrement plus criantes d'urgence qu'il aurait été plus important de mettre en œuvre bien avant.

Combien seront-ils, recalés de la compétitivité et de la performance écologique, à ne même plus pouvoir assumer leurs propres besoins parce qu'ils n'auront pas les moyens de ce progrès qu'on leur impose, comme de vulgaires parasites auxquels on dirait de changer d'hôte ? Trop, et j'en serai sûrement . Peut-être même par choix, malgré et aussi à cause de toutes mes convictions écologiques et sociales.